Actuellement, en France et dans tous les pays qualifiés de démocratiques ou libéraux, les droits des salariés et des actionnaires sont séparés par des barrières infranchissables, celui des actionnaires, en quelque sorte externe, porte sur des parts ou des actions, représentatives de la propriété de celle-ci. Permettant de recevoir des dividendes et pouvant être vendus. Ceux des salariés, internes, portant sur le patrimoine même de l’entreprise, salaire, couverture sociale et indemnités de rupture, au prorata du temps qu’ils y ont passé et de leurs rémunérations.
Ces droits ne sont en rien en rapport avec les « apports respectifs ». Ils le sont encore moins pour leur influence sur les destinées des entreprises qui, en principe, sont décidées par des assemblées annuelles d’actionnaires, le plus souvent sous le contrôle de financiers. Dans la plupart des cas mandataires de mandataires, de spéculateurs plus souvent que d’investisseurs totalement indifférents au sort de l’entreprise, dont ils ne savent généralement rien.
Cette situation est de plus en plus insatisfaisante, tant pour les véritables actionnaires, écartés des décisions, que des salariés, traités souvent comme du bétail.
Pourtant des solutions seraient possibles. Qui puissent préserver les droits des uns et des autres.
Le fondement des droits des actionnaires est constitué par les apports qu’ils font, à la constitution et au cours de la vie, soit directement, soit en mettant en réserve des bénéfices. Jusque là : c’est sain. Au-delà, les choses sont plus contestables, moins justes. En effet, il est un principe de droit qui dit que l’on ne peut en concéder plus que l’on en a soi-même « Nemo plus juris … », pour les initiés. Or, il s’avère souvent que la vente d’actions de sociétés assure à un concurrent, un groupe financier, un fonds de pensions … Des droits plus importants que n’en avaient ou n’en exerçaient les cédants, par la réunion d’actions et le contrôle de la direction de la société.
Le seuil critique se manifeste généralement pour les salariés, par des « délocalisations », entrainant licenciement, précarité sociale, voire misère. Dont ils ressentent une frustration d’autant plus grande qu’ils ont plus et plus longuement, contribué au développement de l’entreprise. Que ceci n’est pas pris en compte. Que les palliatifs qu’il a été tenté de mettre en place se sont avérés illusoires et l’intervention des politiques inconséquente.
Toutes les solutions qui ont à ce jour été proposées et dont j’ai connaissance, reposent sur l’idée d’une interdiction du licenciement ou d’une augmentation dissuasive de son coût. Tous ceux qui s’intéressent à ces questions devraient savoir depuis longtemps que le frein au licenciement a des effets beaucoup plus rapides et radicaux sur l’embauche qui, pour les entreprises, est plus facile à maîtriser.
Mettre en cause le statut du salarié, sacro-saint fondement du droit du travail, est un sacrilège et c’est celui-ci que je compte commettre.
En théorie, il y a deux groupes : les actionnaires et les salariés, dont les intérêts seraient opposés ou au moins concurrents. En pratique, il y a une direction qui, officiellement représente les actionnaires, mais dans la plupart des cas ne représente qu’elle-même et les « petits copains », qui contracte avec les salariés, non pour le compte des actionnaires, mais pour celui de l’entreprise.
Dans la réalité concrète, les intérêts des actionnaires et des salariés sont beaucoup plus liés et ceux avec lesquels ils s’opposent le plus, sont ceux des directions et de leur entourage.
Il me semble que personne ne peut considérer ce mode de fonctionnement comme démocratique.
Que néanmoins des systèmes peu différents pourraient présenter ce caractère à condition de définir quelques principes de fond.
Le premier étant que l’assemblée des sociétés, organe principal et détenteur de la plus grande compétence et autorité, réunisse à la fois actionnaires et salariés.
Que les droits de votes des uns et des autres, s’ils ont des fondements nécessairement différents, soient l’objet de dispositions communes : par exemple que l’ancienneté joue un rôle important. Le droit de vote pourrait n’être alloué qu’au bout d’un an, de conclusion du contrat de travail pour le salarié, ou de détention des actions pour une même personne physique, pour une personne morale, dont le représentant et la personne physique disposant de la direction ou du contrôle soient restés les mêmes. De façon à éviter que les spéculateurs et intermédiaires frauduleux ne puissent intervenir dans la direction des sociétés.
Le principal problème résiderait dans la répartition des parts aux salariés. Une règle d’égalité supposerait que chaque salarié dispose d’une voix par année de présence. Quelque soit l’importance de sa fonction ou le montant de son salaire. Celle de proportionnalité supposerait que chaque salarié dispose d’un nombre de voix proportionnel à sa contribution à la bonne marche de l’entreprise, ce qui supposerait la définition de critères spécifiques. La possibilité pourrait en être laissée à ceux prêts à relever le défi.
La répartition des parts des salariés devraient être définie en fonction du chiffre d’affaires ou de la marge d’exploitation. Selon le type d’activité : chiffre d’affaires pour celles de production marge d’exploitation pour le négoce (achat pour revendre). Au sein d’une même entreprise, les deux modes pourraient coexister en fonction des attributions de chacun. Pour les services généraux, internes, ils devraient se voir attribuer, par les producteurs et les commerciaux, un pourcentage sur leurs parts. Celui-ci pourrait être défini par les statuts, des taux de 5 à 10 %, sont généralement attribués en comptabilité analytique pour la partie « administrative ».
Il serait sûrement injuste et inefficace de définir, dès l’établissement des statuts, la répartition des droits de vote entre actionnaires et salariés. Sauf à risquer des conflits sans fins, il faudrait néanmoins établir des clefs. Dans la plupart des cas, un ratio entre capital et chiffre d’affaires ou marge d’exploitation devrait convenir.
Les assemblées générales devraient pouvoir statuer, selon l’objet des décisions : ensemble ou par collèges séparés, avec majorité simple ou double, comme la pratique existe déjà en présence d‘actions de plusieurs catégories.
Un type de société correspondant au schéma que je viens d’esquisser, n’existe pas encore. Pourtant, comme la plupart des dispositions du droit des sociétés sont supplétives, rien, de ce côté, ne l’interdit formellement. Il en va autrement en matière de droit du travail, de celui de la responsabilité et d’autres dispositions du code civil. Il pourrait néanmoins inspirer certains groupes de salariés et juges de tribunaux de commerces soucieux d’éviter des délocalisations, des fermetures d’usines économiquement injustifiées et d’autres entreprises désireuses de se prémunir contre de tels évènements.
Marc Albert CHAIGNEAU
PUTEAUX, le 7 avril 2012