La fiscalité française est-elle un enfer ?
La question est rarement posée en ces termes et je pense que ni ceux qui la fuient, pour rejoindre les paradis fiscaux, ni ceux qui organisent ces fuites, et encore moins ceux qui la conçoivent, rédigent ou votent les textes, ne se la posent de cette façon. Pourtant, je crois qu’elle mérite d’être posée, au moins en ces termes : En quoi la fiscalité française est-elle un enfer ? Ou plus particulièrement : Qu’y a-t-il d’infernal dans la fiscalité française ?
Je ne suis pas un spécialiste de la fiscalité, mon domaine d’élection est le droit des affaires : création, organisation, structuration, cessions, fusions-acquisitions de sociétés, procédures collectives, faillites, redressements et liquidations judiciaires, etc. De ce fait, je suis plus sensible à son incidence qu’à la fiscalité elle-même. Si celle-ci n’est pas mon principal champ d’investigation et d’action, elle en fait partie et y joue un rôle qui me semble excessif, voire abusif. Elle y exerce une influence souvent déterminante, qui amène à négliger d’autres données, ce qui a des conséquences dommageables à bien des égards. Cette perspective, qui me semble avoir son utilité, devrait être prise en compte par le législateur dans son ensemble, ce qui n’est malheureusement pas le cas.
L’enfer est-il pavé de bonnes intentions ?
Les deux principaux motifs présidant au développement de la fiscalité sont d’une part les « besoins » de recettes des institutions publiques, aboutissant à la nécessité de l’équilibre budgétaire et, d'autre part, les préoccupations électoralistes des dirigeants. L’impôt à 75 % est, à cet égard, caractéristique. Il a été annoncé, n’a pas été mis en œuvre, mais a eu des conséquences très importantes, entrainant de nombreux départs et surtout de très importants désinvestissements en France. Le marché parisien des logements de luxe, au-delà du million d’euros, en est devenu atone. Il n’y a quasiment plus de demande, pour faire face à une offre pléthorique. L’annonce avait un objet électoraliste: elle était destinée à contrebalancer l’impression, par ailleurs fondée, que le nouveau président et le nouveau gouvernement renonçaient à toutes leurs promesses électorales pour appliquer la même politique que leurs prédécesseurs. À cet égard, elle a échoué. Mais les conséquences ont néanmoins été très importantes, sur les transferts de sièges sociaux, d’activités et d’actifs, par tous ceux qui ont craint d’être frappés par cette taxe, qui finalement, n’a pas été mise en œuvre.
Le labyrinthe infernal
Concernant la fiscalité française dans son ensemble, le ministère des Finances a mis en place un système d’une telle complexité que lui-même, ses agents, représentants et cadres ne le maîtrisent pas, ou au mieux, pour certains, très partiellement. Cette complexité rend impossible la prévision ou la mesure des effets de cette fiscalité, et par ce biais, conduit à des conséquences indésirables et inévitables.
Il est souvent considéré que le redevable, qui paie l'impôt indirect, ne supporte pas véritablement l'impôt et que celui-ci est en fait entièrement payé par le consommateur final, le contribuable. Cela peut conduire à penser que la TVA est l’impôt le plus injuste, car il frappe indifféremment toutes les classes sociales. De ce fait, les recettes fiscales de l'État sont supportées principalement par les plus modestes, dont les dépenses assujetties représentent l’essentiel de leur budget. Les hauts revenus et grandes fortunes, eux, y sont peu soumis, car une moindre part de leur revenu est proportionnellement consacrée à la consommation. C’est un argument a priori, purement moral, qui ne prend pas en compte les aspects techniques, ni aucune des conséquences économiques et financières. Il est contestable, comme l’ensemble du système, du fait qu’il intègre une confusion entre les critères, moraux, la réalité économique et financière et la technique. Or, comme je me plais à le répéter souvent, s’il est assez facile de rendre juste un système efficace, il est impossible de le faire d’un système inefficace. Si, au départ, on conçoit un système basé sur des critères moraux et pas seulement pour sa logique, sa cohérence, son adaptation au réel, et donc son efficacité, il est moral dans ses causes, ses objectifs mais inefficace et donc injuste dans ses effets. Comme c’est le cas, entre autres, de la fiscalité française actuelle.
Contrairement à la présentation faite le plus souvent des projets de textes fiscaux, il faut remarquer que ce qui est vraiment important, ce ne sont pas les motivations, les causes, les raisons, qui sont le plus souvent électoralistes, mais les conséquences qui n’ont généralement rien à voir avec les causes et les motivations, déterminent, comme l’impôt à 75 % des dommages à l’économie et des réductions de recettes fiscales.
Si l’on souhaite réellement être efficace, il faut avoir un système simple et clair, partir de la réalité des faits, des actes économiques, de la création de richesse, de la consommation, des flux, et pas de la théorie, ni des usines à gaz actuellement existantes. Dans la plupart des cas, le contribuable gère un budget individuel, personnel, d’une entreprise ou pour le compte d’une société petite ou grande. Celui-ci cherche simplement à trouver un équilibre entre des recettes et des dépenses, de façon à assurer un excédent, permettant de financer un train de vie, des investissements, une rémunération, des risques, des capitaux investis, etc. Dans une telle démarche, deux types de fiscalités sont intégrables, celles fixes ou variables, connues à l’avance, et celles proportionnelles aux recettes. Toutes les autres et toutes les variations intervenant en cours d’exploitation (surtout après que des engagements ou des investissements aient été souscrits) constituent des risques contre lesquels tout gestionnaire responsable cherche à se prémunir, pour sauvegarder l’entreprise, mais surtout sa propre situation, ce qui est souvent une question de survie.
Le combat du bien et du mal
Il est clair que dans cette analyse, on peut trouver un tronc commun à ce que certains appellent de « l’optimisation fiscale » alors que d’autres le qualifient de « fraude fiscale ». Deux intérêts s’opposent dont chacun justifie d’une certaine légitimité. D’une part, le contribuable, l’entreprise qui doit faire face à ses engagements, doit assurer sa survie, si possible son développement. D’autre part, le ministère des Finances assurant le financement des services publics. De chaque côté, il y a des excès, des rémunérations abusives de spéculateurs et de dirigeants, un train de vie somptuaire du personnel politique, des excès administratifs, des dépenses exorbitantes, et des interventions hors du domaine public, outre les fraudes et détournements, qui existent dans les deux domaines.
L’état actuel des relations entre ces intérêts (relativement) légitimes est une confrontation. La fiscalité est principalement fondée, non sur le principe de contribution, mais selon le terme utilisé, d’imposition, de confiscation. À de rares exceptions près, la démarche fiscale et le discours qui la justifie et la sous-tend, sont fondés sur l’envie et la jalousie. Nombreux sont ceux pour qui le slogan « faire payer les riches », tient lieu de doctrine. Les « riches » en question considèrent généralement qu’ils contribuent beaucoup plus que les autres au financement de dépenses somptuaires et à l’entretien d’administrations qui ne leur rendent que peu de services, et de populations d’inutiles dont ils ont tout à craindre et rien à attendre. Le trait est grossier, presque caricatural, mais une description plus nuancée et plus proche de la réalité nécessiterait davantage de développement.
Tout le monde s’accorde à reconnaitre que la fiscalité est injuste. Mais chacun considère son injustice au regard de sa propre situation alors que le ministère des Finances et le gouvernement en général considèrent que si tout le monde le trouve injuste et trouve à s’en plaindre, c’est qu’il doit être équilibré: cette forme d’équité leur suffit ; quitte à faire machine arrière, lorsque la révolte gronde et à écraser quelques récalcitrants. Les exemples récents sont malheureusement nombreux. L’imposition des revenus à 75 %, l’écotaxe et les frondes des « Pigeons » et des petites entreprises contre la Contribution Foncière des Entreprises en fait partie.
La concurrence fiscale, nouvelle forme de guerre non déclarée
Il existe une autre perspective dont il faut tenir compte et qui, au cours des dernières années, a posé des problèmes dont la gravité croit de façon exponentielle. Il s’agit de la concurrence fiscale, particulièrement au sein de la Communauté européenne. Là encore il existe un problème de cohérence. La gestion des finances d’un État, d’une communauté d’États ou d’une union, comme l’Union européenne a, de tous temps, reposé sur un couple formé d’une monnaie et d’une fiscalité. Les exemples sont nombreux et connus, enseignés en cours d’économie et de finance. Disposer d’une monnaie sans le soutien d’un budget et d’une fiscalité revient à la soumettre aux « aléas du marché », donc à la spéculation. Nous avons vu, ces derniers temps, quelles pouvaient être les conséquences sur les finances des États. Ce ne fût pas la seule cause, mais cela a rendu beaucoup plus difficile la solution des problèmes. La mise en œuvre d’une harmonisation des fiscalités européennes eût été assez simple, lorsque les membres de l’Union étaient peu nombreux et à des stades de développement comparables. Le moment le plus favorable était, bien sûr, lors de l’avènement de la monnaie commune et nombreux ont été ceux, en dehors des politiques, qui la proposaient. Elle sera désormais plus difficile à mettre en place, certains États et les grandes entreprises ayant trouvé leur avantage dans la situation actuelle et seront (ils le sont déjà), de ce fait, prêts à combattre toutes les mesures dans ce sens à l'aide de menaces de licenciement, de fermetures, de délocalisations, etc.
L’harmonisation fiscale européenne est souhaitable, sans doute indispensable à la survie de la communauté européenne, mais il est évident qu’elle ne sera pas mise en œuvre à court terme et ne sera, en conséquence, pas susceptible d’apporter la solution des problèmes qui se posent actuellement. On peut le regretter sincèrement, surtout lorsque l’on considère l’usage que font la Suisse ou les États-Unis de leur fiscalité pour favoriser leur économie et qu'on les compare avec l’Europe et son inefficacité, face aux crises financières et au chômage. À ce titre, il est un principe de droit qu’il est nécessaire de rappeler, notamment parce le ministère des Finances tend à ne pas en tenir compte : la loi française s’applique sur le territoire français. Donc pas en dehors. Pour ceux qui ne verraient pas la nécessité de cette règle, en supposant que nous voulions appliquer la loi française hors du territoire, rien n’interdirait aux autres pays d’en faire autant et donc d’appliquer leurs propres lois sur le territoire français. Ce qui rendrait les conflits insolubles. Il existe déjà une dérogation à ce principe, qui figure au 3ème alinéa de l’article 3 du Code Civil : « Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. » Au-delà de cette dérogation, qui pose déjà de nombreux problèmes, la porte s’ouvre sur les conflits insolubles, et les exemples sont nombreux, il suffit de regarder les problèmes posés par les gardes d'enfants lorsque les parents séparés sont de nationalité différente. Sans aborder les sujets sensibles du droit des brevets et de la propriété intellectuelle ou les problèmes sont déjà insolubles.
Dans ces conditions, en France, seule une solution française peut être mise en œuvre. Et les traités européens n’y sont pas vraiment favorables, sans qu’il soit sérieusement envisageable d’en faire fi.
Comment accéder au purgatoire ?
La marge est étroite si l’on reste dans le schéma actuel qui, sans avoir réalisé la souhaitable harmonisation des fiscalités en a bloqué, dans une certaine mesure, les divergences. Il est donc nécessaire pour, à la fois, opérer des réformes efficaces et ne pas s’écarter des conventions et directives européennes, et pour éviter les schémas et systèmes actuellement en vigueur. Donc de ne pas remettre en cause ce qui, bien que présentant de notables différences, relève d’une sorte de tronc commun des fiscalités européennes.
Le fondement de la fiscalité est le financement de l’État et des services publics. Il est certain que les gouvernements interventionnistes et les séquelles de l’État-providence l’entrainent bien au-delà. Il existe de nombreux exemples, chacun y est quotidiennement confronté, ou l’appareil de l’État, les collectivités territoriales et tout ce que la France compte d’institutions publiques, vont bien au-delà de ce qui devrait être leur rôle. Ce n’est véritablement un mal que lorsque cela entraine un renchérissement du service et affecte son efficacité. Cas malheureusement le plus fréquent, comme en atteste récemment les portiques de contrôle des autoroutes. Le maintien en survie, par le moyen de subventions, d’activités et d’entreprises non rentables, au détriment d’autres qui, par des innovations ou rationalisations, auraient pu assurer un meilleur service à moindre coût, est courant et flagrant. C’est une spécialité française à connotation soviétique.
Nous avons mentionné « financement » de l’État et des services publics, car c’est la présentation qui en est faite de façon unanime. De fait, si les services publics doivent être « assurés », rien, sauf une vieille habitude héritée des mœurs de l’Ancien Régime, n’oblige à les financer. Ce qui est nécessaire, c'est que les tâches soient accomplies. De préférence le mieux possible. À ce titre, une idée communément admise veut que les politiques ou les fonctionnaires, spécialement formés et qui y consacrent leur vie, soient plus efficaces que ne pourraient l’être d’autres membres de la population. J’ai le regret de dire que les résultats que nous pouvons constater, dans la conduite des affaires publiques, ne me semblent pas probants. Présumer que des citoyens motivés, concernés, parce que confrontés ou ayant été confrontés au problème à résoudre seraient moins efficaces me semble un a priori pour le moins contestable. J’en veux pour preuve l’abandon de certaines fonctions sociales au profit d’œuvres caritatives (curieusement qualifiées d’ONG), qui s’avèrent plus efficaces que les services publics, pour l’assistance aux SDF ou aux immigrés clandestins, sans compter les associations comme la fondation Abbé Pierre, celles qui assurent l’alphabétisation des immigrés et les nombreuses œuvres religieuses dont les rôles sont forts divers. Quiconque a été confronté à ces institutions a pu constater qu’elles sont le plus souvent beaucoup plus efficaces que les administrations, à des coûts infiniment moindres. La spécialisation administrative de certaines fonctions n’a pas les vertus qu’on lui prête. Par expérience, un administratif formé pour les achats, chargé d’acheter du matériel médical dont il ne sait pas se servir, ne connait pas l’utilité et encore moins les contraintes et nécessités d’entretien, et fait, à partir de critères inappropriés, de très mauvais choix. Ce qui est inévitable et difficile à lui reprocher. C’est malheureusement également le cas dans de nombreux autres domaines.
La voie de la rédemption
Il n’est pas question de nier l’utilité des administrations. Plutôt de les considérer comme un « mal nécessaire ». En quoi et pourquoi sont-elles un mal ? Simplement du fait de leur coût très élevé et de leur faible efficacité. Des citoyens responsables, qui respecteraient et entretiendraient le domaine public, contribueraient, chacun en fonction de ses désirs, aptitudes et compétences aux services publics et en s’assurant que toutes les tâches soient accomplies, n’en auraient pas besoin. La nécessité n’apparait que du fait de l’irresponsabilité des citoyens qui ne contribuent pas, comptent sur les autres pour accomplir ces tâches nécessaires et développent une mentalité d’assistés. Ensuite et surtout parce l’administration créant de l’administration, la multiplication des tâches inutiles entraine la réduction, voire la suppression de fonctions utiles, nécessaires, voire indispensables. A titre d’exemple, il y a une quarantaine d’années, on ne rencontrait, dans les hôpitaux, qu’un administratif pour vingt ou vingt-cinq soignants. De nos jours, on se demande s’il n’y a pas plus de personnel administratif que de soignants. On ferme des services, on supprime des lits, mais on augmente le personnel et les tâches administratives dans tous les domaines.
Les dirigeants actuels, quelle que soient leurs couleurs politiques, encouragent l’irresponsabilité administrative. C'est en effet ce qui permet la centralisation, la concentration du pouvoir entre leurs mains. Ce qui est leur objectif principal et encore plus, souvent avec acharnement, celui de leurs affidés qui peuvent ainsi exercer l’essentiel du pouvoir tout en restant dans l’ombre.
Nous avons ainsi cerné le phénomène qui détermine l’importance sociale de la fiscalité, son fondement et ses racines. Nous avions vu auparavant les raisons de son développement. Pour ce qui concerne la complexité, que nous avons déjà dénoncée, elle résulte du jeu de plusieurs facteurs, tendances et phénomènes. La tendance à la concentration du pouvoir au sommet des hiérarchies, que nous avons déjà relevée, en fait partie. Elle tend à l’uniformisation des tâches, des données prises en compte, des renseignements recueillis. Le traitement spécifique, prenant en compte tous les éléments d’une situation, ne peut intervenir qu’au contact direct du problème à traiter. Pour avoir une vision d’ensemble, chaque élargissement suppose un degré supplémentaire d’abstraction, d’abandon de données spécifiques. Par exemple, pour passer de la situation de M. Dupont, tourneur ayant 35 ans d’expérience, à l’âge de 50 ans, marié, père de 3 enfants, habitant Argenteuil… cas particulier, à un nombre de 3500000 chômeurs recensés et faisant partie d’une catégorie fiscale particulière, on est passé d’une situation concrète, analysable, gérable par une personne, à une abstraction absolue, un nombre impossible à gérer concrètement.
Le retour à la réalité
Or chaque élément abandonné, à chaque niveau d’abstraction, constitue une donnée susceptible d’éclairer et de favoriser la connaissance du problème et d’en apporter la solution. Il est évidemment plus facile de traiter le cas, précisément connu, de M. Dupont, que de créer trois millions d’emplois. De même, il est plus simple d’aider deux millions de petites entreprises, artisanales, commerciales ou de services, à créer un emploi, que de chercher à faire créer des milliers d’emplois à quelques dizaines de grandes entreprises. Surtout lorsqu’elles ont une activité internationale et la possibilité de créer des emplois dans des pays où les coûts de main d’œuvre sont beaucoup plus faibles et mieux maîtrisés.
Ces éléments nous permettent de situer le rôle de ce facteur très important de la fiscalité, de son développement et de sa complexité : « la principale fonction de l’administration consiste à créer de l’administration ». Je sais que cette formule, assez célèbre, paraît absconse à beaucoup. Elle est assez simple à expliquer. Chaque agent de l’administration remplit des documents destinés à être traités par les services. En amont, le document a été défini, des modèles choisis, il a été procédé à des projets, soumis à des décideurs … Toute une chaine s’est mise en branle. En aval, chaque document va être enregistré, des renseignements vont en être extraits, qui vont être regroupés, par étapes, pour fournir des données globales, des statistiques … Celles-ci seront, ou ne seront pas exploitées, par d’autres agents, qui ne seront pas conscients le moins du monde des données initialement recueillies. Ce que d’ailleurs personne ne leur demande.
Ma description semble à certains apocalyptique et mon diagnostic, de ce fait, mal fondé. Il est vrai que tous, ou presque, nous survivons à ces maux. Que ceux qui sont laissés sur le bord de la route sont « assistés », « aidés » et que la situation n’est pas si terrible puisqu’elle attire encore une immigration excessive. A ceux-là je demande de considérer l’évolution de la situation autour d’eux, l’accroissement des contraintes et du nombre des « laissés pour compte ». Ayant ainsi décrit l’enfer, passons au paradis.
La fiscalité au paradis
La question le plus souvent posée, par ceux qui n’ont pas eu l’occasion de les utiliser et qui fait partie du débat politique est : pourquoi les paradis fiscaux ? Mais pour les utilisateurs, la question est : comment les paradis fiscaux ? C’est la réponse à cette deuxième question, qui fournit les éléments de la première.
Pour une entreprise, comme pour un particulier, le recours à un paradis fiscal suppose des opérations internationales: achat, vente, investissement, prospection à l’étranger, justifiant des mouvements de fonds internationaux. Le cultivateur de cannabis qui le fait pousser dans son jardin, pour le vendre au coin de la rue, n’en a pas l’utilité. Un pays comme le Luxembourg, petit territoire, faible population, petite économie, nécessairement soumis à l’import-export, voit donc passer des mouvements de fonds dans ses banques, qui, potentiellement, pourraient ne rien lui rapporter. Car la plupart des opérations se nouent ou se dénouent hors de son territoire. Et seul un avantage particulier, fourni aux entreprises ou titulaires des fonds, peut les décider à domicilier tout ou partie de leur activité sur son territoire. La solution la plus favorable aux deux parties est dès lors le forfait. Vous passez ce que vous voulez dans vos comptes et l’on définit à l’avance votre contribution. Seconde solution (il y en a d’autres mais je ne les citerai pas) : vous faites apparaître vos bénéfices chez nous et on vous impose à un taux inférieur à tout ce que vous pouvez trouver en Europe, sans être trop regardants sur ce que vous déduisez. Les conditions et modalités se négocient, si les sommes en cause sont suffisamment conséquentes. Cette Situation, comparée avec l’enfer, au regard des contraintes du gestionnaire « contribuable » que j’ai exposées, est paradisiaque.
Entre enfer et paradis, il me semble possible de trouver une troisième voie, qui devrait être, en premier lieu pour la fiscalité française et le ministère des Finances, un purgatoire.
Le purgatoire existe-t-il ?
Dire que l’économie est mondiale, ou mondialisée, est une formule à la mode. C’est inexact, ou très partiellement exact. L’essentiel de l’économie mondiale conserve un caractère local. Les produits circulant dans l’ensemble du monde sont peu nombreux, limités à des catégories très spécifiques : automobiles, pétrole, métaux rares, électronique… ils représentent un pourcentage limité de la consommation. Ce qui est réellement mondialisé, c’est la finance, pour l’essentiel. S’il reste encore des économies locales, régionales et nationales, il n’existe quasiment plus de finance, qui ne soit connectée à la finance mondiale.
Ce constat permet de définir le champ possible d’une fiscalité nationale, qui pourrait se fonder sur le système économique, mais pas sur le système financier.
Le fisc français ne considère pas les « contribuables », entreprises ou particuliers, comme des partenaires avec lesquels instituer une collaboration, mais comme des « vaches à lait » ou comme un chat considèrerait des souris. Si la vache à lait a un peu de mal à échapper à son sort, les souris peuvent facilement s’échapper de la « cage » France, pour se retrouver hors d’atteinte dans d’autres pays.
Une fiscalité efficace ne peut donc être fondée que sur ce qui est produit et consommé en France, donc en ne tenant pas compte de ce qui se déroule à l’étranger. « Chacun son métier (chez soi) et les vaches seront bien gardées. »
Le douloureux chemin de la rédemption
Bien sûr, le désordre dans lequel les conventions européennes ont été conclues pose problème: outre la monnaie unique, la libre circulation des capitaux et des personnes notamment. Et il n’est pas possible de remettre en cause ces principes, mais des modalités appropriées peuvent aider à résoudre les problèmes. Le travail, en France, de personnel étranger situe le risque d’accident et de maladie sur notre territoire. Il est donc anormal que leurs cotisations sociales soient versées dans leur pays d’origine. Leur activité devrait donc les assujettir au paiement de cotisations en France. J’ai exposé par ailleurs que les rémunérations constituaient une mauvaise base de cotisation, je n’y reviendrai pas mais tiens à le rappeler. La rémunération de ces travailleurs est, en principe, soumise au SMIC. De trop nombreuses infractions sont constatées, au moyen de sociétés, de travail temporaire en particulier, qui apparaissent et disparaissent au fur et à mesure des besoins et des ennuis. Dans ce domaine, les sanctions sont inadaptées. Les seules susceptibles d’être efficaces seraient des déchéances du droit de gérer, d’administrer et d’avoir des comptes bancaires, comme titulaires et mandataires, aux auteurs des fraudes et à leurs complices. Et que ces sanctions soient appliquées sur l’ensemble de l’Europe. Il me semble que nos amis allemands soutiendraient un tel projet avec enthousiasme.
Pour la fiscalité elle-même (puisque les charges sociales n’en font pas « officiellement » partie), nous avons l’exemple de la TVA. Mais celle-ci laisse échapper les activités financières et les exportations. L’absence d’assujettissement d’une partie des activités financière à la TVA a des raisons historiques et de « lobbying ». Les plus grandes institutions financières sont très proches du gouvernement et du ministère des finances. Il suffit pour s’en convaincre, de considérer les parcours de leurs dirigeants. Ceci a abouti au sein de ces établissements, comme au sein des administrations, à une concentration des pouvoirs aux sommets. Les pouvoirs d’un directeur d’agence de banque sont sans doute inférieurs à ceux d’un simple guichetier, il y a trente ans. La conséquence en étant que les banques se consacrent beaucoup plus à la spéculation internationale qu’au financement de leurs clients. Attitude qui figure en bonne place dans les conséquences de la crise de 2008, en France. Il a été envisagé différentes taxes sur les activités financières, sur les risques systémiques et sur les mouvements. Il est évident que la libre circulation des capitaux, l’absence d’harmonisation fiscale et l’égoïsme des États rendent actuellement impossible la mise en place d’une taxation européenne. Une taxation qui frapperait exclusivement les établissements français les pénaliserait et les déterminerait à délocaliser tout ce qui pourrait échapper à la taxation. Est-ce à dire qu’il ne faut rien faire ? Sûrement pas. Mais sur la base des normes prudentielles, en tenant compte des expériences qui ont été tentées : le droit de timbre suisse, le droit de bourse français, la stamp duty britannique et sous la menace, il est possible d’exiger des professions financières, du secteur bancaire et d’assurance, qu’ils s’organisent pour contribuer au budget en proportion de leur importance. Les garanties actuellement à la charge de l’État devraient être globalement mises à la charge de la profession. Chacun en serait garant en proportion de son activité en France et n’aurait le droit d’y exercer, qu’à condition de présenter des garanties suffisantes. Le tout nécessiterait d’être assorti de sanctions pénales, à l’égard de tous les participants aux infractions, avec ou sans élément intentionnel.
Satan, ses pompes et ses œuvres
On ne peut accuser, sans preuve formelle, les banques et établissements financiers d’être à l’origine des paradis fiscaux. Mais on peut facilement démontrer que leur participation active est nécessaire pour en profiter. Bien sûr, du fait de la nécessité qu’impose notre droit pénal de rapporter les preuves à la fois de l’intention et du lien de causalité directe, il est extrêmement difficile, dans les cas particuliers, d’assurer la démonstration nécessaire à une condamnation. Pourtant, certains types d’opérations et de mouvements, que banquiers et spécialistes repèrent facilement, n’ont d’autre fonction que des transferts et évasions fiscales. Une obligation de déclaration spécifique de ces opérations au Trésor, procédure qui existe déjà dans certains domaines, aurait un effet pour le moins dissuasif et faciliterait certaines poursuites, sans nécessiter le même recours législatif que la définition d’une présomption sur les opérations. Les professionnels chercheront des moyens d’échapper à ces obligations et seules des mesures radicales, telles que celles que j’ai déjà proposées, comme le compte bancaire unique, permettraient réellement de résoudre le problème.
Certains pourront considérer ces propositions comme un renforcement du caractère infernal de la fiscalité. Mais je ne l’envisage que dans le cadre d’une importante réforme, visant principalement la simplification, qui passe par la réduction du Code général des impôts à 1000 articles (il en compte 1965) et la suppression des annexes et autres documents règlementaires. Cela supposerait d’une part une réduction du nombre des impôts, d’autre part un élargissement des pouvoirs d’interprétation des agents. En outre, comme dans tous les domaines, il faudrait remplacer des nombreuses redites et renvois par des articles d’application générale, plus faciles à connaitre et à exploiter, à la fois pour les agents et les contribuables.
Dans le discours politique et la presse, il est souvent question de « lutte contre les paradis fiscaux », alors qu’il n’en existe même pas de définition reconnue. C’est un combat illusoire, qui ne pourra jamais aboutir qu’à des déconvenues. La véritable solution ne peut résider que dans une réforme fiscale, pour laquelle le législateur et le ministère des finances doivent d’abord tenir compte des deux principes de droit qui leur demeurent étrangers : « la loi française s’applique sur le territoire français. » et « nul n’est censé ignorer la loi. ». Ces principes ne sont pas seulement des moyens de coercition envers des « contribuables » mais doivent gouverner leur propre action, la rédaction des lois et règlements, le comportement des politiques et des agents de l’administration.
Marc Albert CHAIGNEAU
Puteaux Mai - Novembre 2014
Résumé en anglais :
Tax system, from hell to heaven
French tax system is supposed to be diabolical. French government fights tax havens. But there is no solution this way, as far as there is no definition of tax haven. The only solutions supposed is to reform French tax system. To heed what happens in France, mainly economical events, not to hound elusive financial, international events. Any solution needs to consider that: “French law governs French territory” and that “Nobody is supposed to ignore law”, government and ministry of finance, being first concerned by this rule.