Nombreux sont ceux, et nos dirigeants les premiers, qui croient pouvoir « sauver » le système social, en lui appliquant les règles de la finance. En voulant à toute force en «équilibrer les comptes ». Assurer la couverture des « dépenses » par des « recettes ».
Pourtant, si la finance est bien le domaine de la monnaie, des flux monétaires, celui du système social devrait être celui de la « solidarité ». Il est vrai que la conception qui en est actuellement présentée relève plus, d’un côté de l’extorsion de fonds, de l’autre du parcours d’obstacle pour obtenir les prestations. Que les sentiments qui y président et devraient en constituer la base, en ont été totalement exclus.
Soumettre le système social à la finance revient un peu à opposer une équipe de football à une équipe de basket, en les faisant jouer sur le terrain de football, avec les règles du football et à s’étonner ensuite que les basketteurs soient écrasés.
Chaque système, chaque structure sociale, chaque société, doit être soumise à des règles conformes à sa finalité. La solidarité est d’abord un sentiment, qui s’exprime par l’entraide, l’échange, de services notamment. Nombreux sont ceux qui, à titre personnel, dans un cadre familial ou caritatif, pratiquent déjà cette solidarité. Encore plus nombreux sont ceux qui ne le font pas, qui considèrent que les cotisations qu’ils versent, agrémentés de quelques petits dons obligeamment assortis de quelques avantages fiscaux, sont suffisants pour leur assurer bonne conscience.
Or la solidarité ne peut s’exprimer que par l’action directe. Un véritable engagement motivé par le désir, la volonté de contribuer, de rendre service à nos semblables : Un comportement désintéressé. L’humanisme et l’empathie, qui sont parfaitement incompatibles avec les critères financiers.
Comment résoudre ce problème ? La solution est contenue dans l’exposé de la question : dé-professionnaliser les fonctions sociales, autant qu’il est possible. Assurer le maximum de services par la contribution volontaire et à titre gracieux des citoyens, dans les domaines qu’ils choisissent en fonction de leurs désirs et compétences.
Comment mettre en œuvre un tel système ? Il faut considérer deux perspectives, à traiter de façon distincte.
A court terme : instituer un « service social », ou « service civique », ou chaque citoyen, dès l’âge de 16 ans et aussi longtemps que sa santé le lui permettrait, serait tenu de consacrer 4 ou 5 heures par semaines, à des fonctions sociales non rémunérées. Entretien, petits services, administration, assistance ou formation à ces fonctions, dans les hôpitaux, la justice, l’enseignement, les services municipaux, les administrations … En fonction de ses goûts, compétences, disponibilités, contraintes personnelles et géographiques … Permettant aux contribuables modestes de ne plus acquitter d’impôts, aux non imposables de contribuer néanmoins et de ne plus se voir considérés comme des « assistés », de bénéficier ainsi d’un mode nouveau d’insertion sociale.
A long terme : enseigner dès l’école primaire et sans interruption jusqu’à la citoyenneté, les disciplines indispensables à la vie sociale : secourisme, premiers soins, notions de droits, règles nécessaires pour « vivre ensemble », initiation aux fonctions sociales et aux services publics, justice, contribution … En commençant, à l’inverse de ce qui est habituellement pratiqué dans l’enseignement, par la pratique et en abordant la théorie que lorsque la première est acquise, au fur et à mesure des besoins pour en assurer la maîtrise.
Est-ce utopique ? UTOPIA est un pays imaginaire, l’invention d’un modèle « ex nihilo », à partir de rien d’autre, que quelques idées généreuses. Mon projet ne l’est pas, pour partir de la situation actuelle, « ici et maintenant », sans en exclure ou vouloir en détruire aucun élément, mais avec pour seul objectif de les faire évoluer dans un sens favorable. Alors que nous sommes nombreux à penser que la situation ne cesse de se dégrader à un rythme accéléré.
Nombreux sont encore ceux qui vont craindre que la mise en œuvre d’un tel projet ne porte atteinte à leur situation. Tout dépendrait de la façon de s’y prendre, pour chacun d’aborder le changement. En essayant de s’en faire un atout, ou de s’y opposer, expressément et délibérément. Ou, comme il est souvent d’usage actuellement, en le dissimulant, en y mettant mauvaise foi et mauvaise volonté. Car, et nous le savons tous, il est facile de « faire semblant ». De multiplier les tâches inutiles pour avoir l’air occupé, ou pour manifester son pouvoir, sa domination. De « faire durer » un travail, dans la crainte de n’en avoir plus ensuite. Toutes attitudes qui contribuent à la gravité de la situation actuelle, sans en être à proprement parler les causes.
Au-delà, le véritable problème serait de mettre en œuvre un tel système. Sans qu’il soit, comme ce qui existe déjà, détourné de sa finalité pour en faire un instrument de domination.
Pour cela, la seule solution est l’action individuelle, volontairement coordonnées collectivement et sans délégation ou représentation. Plus facile à dire qu’à faire. Mais les nombreuses ONG (trop nombreuses et sans coordination) montrent une partie de ce qu’il est possible de faire. Se rassembler autour des thèmes que l’on a le plus à cœur de défendre, dans les lieux et services dont on se sent le plus proches et proposer ses services en faisant valoir ses compétences. J’ai connaissance d’exemples concrets : dans un hôpital, un artisan peintre, dont la femme était soignée dans le service, avait proposé, voyant le mauvais état de la peinture des couloirs, de les repeindre gracieusement. Bien sûr, cela lui a été refusé pour faire appel à une entreprise, qui a coûté beaucoup plus cher et ainsi creusé un peu plus le déficit de la Caisse d’Assurance Maladie, ou de l’hôpital. Dans une autre circonstance, c’est un électricien qui, sans ne rien demander à personne, a dépanné une installation électrique, dans un autre service.
Ceci suppose en outre, un changement des mentalités. L’abandon par beaucoup des prérogatives auxquelles ils s’accrochent, sous le vain prétexte d’une efficacité qui n’est pas au rendez-vous. De risques, qui sont en fait beaucoup moins graves, que ceux qu’ils font eux même courir en n’assurant pas la bonne fin de leurs missions pour des « raisons budgétaires ». Demandant toujours plus et réalisant toujours moins.
En effet, la solution est là ! Pour assurer le jeu d’une véritable solidarité au sein du système social, il faut non seulement en exclure la finance, mais également les relations de compétition, de concurrence et y limiter de façon drastique les fonctions administratives et leur cortège de création de tâches aussi inutiles que contraignantes. Appliquer le principe du premier arrivé, premier servi, celui du premier confronté au problème, premier chargé de le résoudre.
Ce, toujours animé par le désir de s’entraider. Le désir d’aider son prochain est la seule motivation qui puisse assurer une véritable solidarité. Tous autres sentiments, ou raisons, doivent en être exclus car ils ne peuvent constituer que des obstacles et des dévoiements de celle-ci.
La mise en œuvre d’un tel projet ne peut s’envisager qu’à long terme. Demandera beaucoup de bonne volonté à nombre d’entre nous. Ce me semble être une raison suffisante pour commencer « ici et maintenant ».
Marc Albert CHAIGNEAU
PUTEAUX, le 13 avril 2012